La main de gloire – 3e partie et fin

Ne laissant pas d’en avoir le cœur net, il alla dès potron minet secouer son ami qui dormait encore à poings fermés. Un bol de café plus tard, les voilà dans le jardin, munis d’une pelle et d’une barre à mine. En conjuguant leurs efforts, ils réussirent à déplacer un peu la lourde pierre. Mon père commença à entamer le sol avec la pelle. Presqu’aussitôt, à très faible profondeur, le fer rencontra une surface métallique. Dans plusieurs boîtes à biscuits ,  serrés dans des rouleaux de papier sulfurisé, s’offraient à leurs regards incrédules pas moins de six mille deux cents Napoléon, oui monsieur cent vingt quatre  mille francs or que le vieux grigou avait dissimulés, et qui eussent pu rester enfouis pour toujours, sans les étranges circonstances qui amenèrent à leur découverte. Pour faire bonne mesure, il y avait également vingt six superbes monnaies en platine de Catherine II de Russie.

Il faut dire que les deux amis avaient quelques difficultés à se rendre à l’évidence, et ils restèrent un bon moment comme frappés de stupeur. Ensuite ils ne pouvaient se défaire d’un certain malaise. Dans ce pays où l’on prend très au sérieux tout ce qui se rapporte à la mort, l’un comme l’autre ressentait l’impression d’une sorte de sacrilège. Je ne sais ce qu’il en fut exactement, mais je sais que l’ami de mon père était prêt, pour le salut de son âme,  à renoncer à sa part de butin. Toujours est-il qu’ils résolurent immédiatement d’accorder à la relique humaine une sépulture en terre chrétienne. C’est ainsi que, la nuit suivante, à une heure impaire pour éviter d’y rencontrer le diable, deux visiteurs furtifs ont enterré derrière une pierre tombale du cimetière de Tréguier la main momifiée d’un certain Mac Leod, vraisemblablement pendu en 1853 .”Douè da  bardon’ an Anaon. “(Dieu pardonne aux défunts ). Telle fut son oraison funèbre, car, bien que chrétiens, ils savaient peu de prières.

Mon père ne s’en est pas tenu là. Toujours poursuivi par un certain sentiment de culpabilité, et sans doute par crainte de la damnation éternelle, il ne manqua pas, jusqu’à la fin de sa vie, de faire chaque année, le 14 du mois de la paille blanche (septembre) le pèlerinage de Lochrist-ann-Iselvet, où, à l’occasion du grand pardon, on obtient des indulgences. Et je peux vous dire que le tronc de l’église recueillait chaque fois une très généreuse obole. ”

Tel est le récit qui m’a été fait en été 1967 à Saint Quai Portrieux, par ce Breton qui le tenait lui même de son père. L’ancien capitaine, deux ans avant sa mort (tout comme son oncle, par une attaque cérébrale ) à la barre du langoustier qu’il avait lui même affrété, avait révélé à son fils l’étrange origine de sa fortune. Ce dernier, une décennie plus tard, prit contact avec le professeur Tenhaeff pour lui soumettre cette curieuse affaire. C’est par cet intermédiaire que j’ai eu le privilège de recueillir ce témoignage. Je me suis contenté de le mettre un peu en forme, et de changer quelques éléments et noms de lieux pour rendre impossible l’identification des protagonistes,comme il avait été demandé.

 

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