La Main de Gloire, seconde partie

La Main de Gloire – seconde partie

Je dois ici ouvrir une parenthèse, pour mieux éclairer la suite des événements : bien qu’il ne fût pas d’un naturel cupide, mon père avait été surpris du montant fort modique du legs dont il était bénéficiaire  (en sus de la maison ) puisque la rumeur populaire prêtait au vieillard une fortune considérable amassée durant la guerre, fortune qu’il eût été bien en peine de dépenser, de par son mode de vie peu dispendieux. C’est pourquoi l’idée d’un magot caché ne tarda pas à faire son chemin dans l’esprit des deux amis.

Ils fouillèrent soigneusement la maison dans ses moindres recoins, mais hormis la découverte, dans le cellier , de plusieurs bouteilles d’un vieux Calvados, couchées sous des fagots, de magot il n’y avait point de trace. Il est fort probable que ces bouteilles de Calva aient eu quelque influence sur la suite ; car c’est à l’issue d’une soirée passablement arrosée que germa, tout d’abord dans le cerveau de Jean, l’idée d’utiliser la fameuse Main de Gloire. Lors de sa découverte, mon père lui en avait décrit les prétendues propriétés : outre la faculté de protéger les voleurs en figeant sur place les occupants d’une maison, on lui prêtait  le pouvoir de retrouver les trésors cachés.

Une telle idée aurait dû paraître déraisonnable, mais l’alcool échauffant les esprits les plus rationnels, mon père ne s’interdit plus de penser que la présence dans la maison de cet objet insolite était un signe du destin et faisait partie du vaste plan de la Providence pour l’édification de l’âme. Bref, joignant le geste à la parole, et après avoir fait serment de partager comme de vieux amis le fruit de leur découverte, ils extirpèrent de son emballage l’horrible chose, qui, sur le moment, ne leur semblait plus aussi repoussante, et, à l’aide d’un briquet, entreprirent d’en allumer la mèche. Cette mèche n’était pas de cheveux tressés, mais plutôt, par un certain raffinement, de la corde même du pendu. Bien que fort sèche, elle s’avérait difficile à allumer. Elle noircit et s’éteignit à plusieurs reprises en charbonnant. Mais la flamme se fortifia peu à peu en se nourrissant de la graisse ( que l’on suppose humaine ) et, suivant le protocole établi, mon père, qui tenait en main le sinistre lumignon, parcourut lentement, suivi de son ami, chaque pièce de la vaste maison plongée dans une obscurité totale.

Bien que les deux compagnons fussent des hommes au caractère bien trempé, ils avaient tendance à se dégriser, et mon père m’a rapporté qu’il ne pouvait en ce moment se sortir de la tête un vieux dicton trégorrois :”An diaoul zo eun dèn honest: na c’ houll man evit man .”(Le diable est un honnête homme : il ne demande rien pour rien .”) tout en se torturant vainement les méninges pour en saisir le sens, mais avec le sentiment confus de pactiser avec le diable… À tel point que, s’il eût été seul, il eût sans doute abandonné, d’autant que la nuit était fraîche, pour ne pas dire froide, comme le sont les nuits à cette saison dans la région de Tréguier, et que la maison était fort mal chauffée. C’est sans conteste la crainte de paraître un peu couard aux yeux de son compagnon qui le poussa à poursuivre cette macabre promenade.

La flamme, qui était censée faiblir, puis s’éteindre, à l’emplacement précis du trésor, brûlait d’un éclat imperturbable, en faisant danser sur les murs des ombres inquiétantes. Après avoir parcouru toutes les pièces, des combles jusqu’au cellier, il fallut se rendre à l’évidence : rien ne venait troubler la flamme, et la chandelle à demi consumée pleurait pour rien ses gouttes de suif à l’odeur nauséabonde. Je crois que nous pouvons arrêter là, dit mon père, à demi soulagé d’en finir avec cette recherche inutile. Mais son ami Jean trouvait dommage d’abandonner si tôt ce rêve de fortune, et fit valoir qu’il restait à explorer le jardin. Mon père s’obligea à céder, pour ne le point contrarier.

La nuit s’éclairait d’un piquetis d’étoiles, et pas un souffle ne parcourait le jardin clos de hauts murs. En admettant, ce qui est peu probable, qu’il y eût dehors quelqu’un à cette heure tardive, il ne lui eût pas été possible d’apercevoir cette petite lumière qui faisait des aller retours d’un coin à l’autre du jardin, faisait avec insistance le tour des deux vieux arbres, et s’arrêtait finalement près de l’ancien courtil. Les deux compères s’ assirent un instant, pour souffler, sur une grosse pierre qui servait de banc. C’est le moment que choisit la funèbre lanterne pour grésiller et s’éteindre tout de go. Fin de la mèche, et fin de la recherche, dit mon père. Rentrons nous coucher. Ils s’étaient  munis d’une lampe électrique, à la lueur de laquelle ils regagnèrent la maison, un peu dépités et totalement dégrisés. Bien qu’il habitât à faible distance, Jean  accepta l’hospitalité, et chacun regagna sa chambre sans trop savoir quoi dire si ce n’est se souhaiter  bonne nuit. La nuit ne fut pourtant pas bonne pour mon père qui se trouva pour ainsi dire obsédé par une idée saugrenue. Quoi qu’il fît pour la chasser, elle revenait sans cesse : Et si la chandelle ne s’était pas éteinte naturellement…Et si la magie avait opéré ! ?

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